La soirée avait été délicieuse. Décidément, ces festivités de fin d'année organisées par la mairie étaient une excellente idée. Elenna, bien qu'un peu endormie, ne regrettait pas d'avoir interrompu sa lecture de Fondation d'Asimov pour y assister.

Elle avait rencontré Maggie Grant à la fête. Comme tout était fini et qu'il devait être très tard, Elenna avait proposé à la jeune fille de la raccompagner chez elle.
Elles marchaient côte à côte dans la rue en discutant. Il n'y avait personne. Les fêtards étaient soit déjà rentrés, soit s'attardaient sur la place. On entendait que leurs voix et le claquement des talons d'Elenna sur les pavés. Ce vide était un peu effrayant, d'autant plus que la nuit était couverte et vraiment sombre. Les lampadaires très espacés faisaient au sol des ronds de lumière dans les ténèbres. 

"Alors, comment as-tu trouvé la fête ?" demanda-t-elle à son accompagnatrice.

Elenna frissonna dans sa robe de soirée. Elle regretta de ne pas avoir pris une veste plus épaisse. Il faisait froid lorsqu'on ne dansait plus. Elle n'avait pas tellement dansé pourtant. Ca devait être la chaleur de tous ces gens rassemblés alors. Maintenant il n'y avait plus que Maggie et elle dans la sombre rue déserte.

Son talon alla se coincer dans l'un des interctise entre les pavés. Elenna rétablit son équilibre et se dégagea rapidement, mais cela avait ralenti leur allure et coupé la conversation un instant. Avec ce bref moment de silence, elle crut en entendre un bruit. Un reniflement. Elle se tourna vers Maggie mais ce n'était pas l'adolescente, d'ailleurs c'eut été étrange. Le bruit venait de derrière. Elenna se retourna et ce qu'elle vit acheva de la dégriser.

Elle n'avait jamais vu de sanglier, à part peut-être dans un documentaire animalier. Mais celui qu'elle avait en face d'elle était vraiment énorme. Tétanisée, Elenna retint un cri de panique. 

"Maggie..."

"La fête était géniale ! C'est beaucoup mieux que les fêtes avec ma famille...enfin, avec seulement mon père la plupart du temps."

Elenna sourit devant l'enthousiasme de Maggie. Mais son plaisir retomba lorsque la jeune fille parla de son père. Elle avait déjà vu Mr Grant, mais elle ne le connaissait pas vraiment. Elle savait juste qu'il vivait seul avec sa fille. Ce ne devait pas être facile pour cette dernière... Elenna, qui n'avait pratiquement pas connu son père et ne se souvenait pas de lui, compatissait. Ce genre de situation était délicate. On ne pouvait pas dire qu'elle, elle en avait vraiment souffert, mais c'était une sensation de vide que rien ne comblait.
Un peu embarassée, Elenna ne savait pas quoi répondre. Heureusement, Maggie lui demanda si elle avait aimé la fête.

"Oh, beaucoup ! C'était vraiment une très belle fête. Les organisateurs se sont surpassés."

Un petit incident survint avec le talon d'une de ses chaussures, qui se coinça entre deux pavés. L'adolescente lui proposa son aide, elle répondit en se dégageant.

"Oups ! Ca va je te remercie. Excuse-moi."

Leur conversation avait été coupée. Dans le silence de la nuit, elle crut entendre une sorte de reniflement. Elle se tourna vers Maggie, qui secoua la tête pour signifier que cela ne venait pas d'elle. Elenna se retourna alors et ce qu'elle vit la stupéfia.

"Maggie..."

L'adolescente paraissait aussi terrifiée qu'elle. Il faut dire que le sanglier qui leur faisait face était énorme. Il avait l'air agressif, peut être avait-il peur lui aussi. Elenna n'aurait même pas su dire s'il s'agissait vraiment d'un mâle ou d'une femelle. Son cerveau tournait à toute allure. Réfléchis. Que sais-tu sur les sanglier ? Surtout ne panique pas. Ne le regarde pas, les animaux n'aiment pas ça. Essaye de ne pas l'effrayer.
Elle resta immobile, telle une statue.

"Maggie ! Ne bouge pas."

Partir en courant ou se glisser à terre et faire la morte ? N'allait-il pas les poursuivre ? Ou les écraser ? Tu as dix secondes pour choisir.
En même temps, elle se demanda comment l'animal s'était retrouvé là, et si on entendait son coeur tambouriner jusqu'à la place.

Elles ne bougeaient pas d'un poil. Parfaitement immobiles telles les statues dans... Elenna avait oublié le titre du roman mais elle ne chercha pas plus loin. Les statues de pierre ne sentent pas les courants d'air sur leur peau, elles n'entendent pas leur coeur tambouriner, retomber, cogner, cogner à leur en faire mal, elles n'ont pas peur. Il ne peut rien leur arriver que la pluie qui ruissole sur elle et creuse leur surface. Son cerveau tournait à cent à l'heure, pesait le pour et le contre de chaque solution. Elle ordonna à Maggie de ne pas bouger. La voix fluette de l'adolescente se fit entendre, tremblante :
"Il... Il n'y a pas de risques..."
Quelque chose en Elenna se brisa. Elle aurait voulu lui serrer la main pour la réconforter, lui dire que non, il n'y avait pas de risques, que tout allait bien. Mais à quoi bon mentir ? Maggie n'était pas idiote.
C'est toi l'adulte ici. C'est à toi de vous tirer de là. Réfléchis. C'est à toi de la protéger.
À priori, le sanglier n'avait pas de raison de leur foncer dessus, à moins de se sentir agresser. Si c'était une femelle, elles risquaient d'avoir des problèmes car les petits ne devaient pas être loin.
Elle aurait donné tout au monde pour avoir une encyclopédie animale sous la main et pouvoir ainsi déterminer s'il allait les poursuivre si elles s'enfuyaient.
"Te sens-tu de courir ?"